C’est dans le cadre du Festival Villeneuve en scène (il suffit de passer le pont) que Jean-Christophe Blondel, qui anime la compagnie Divine Comédie, propose sa réalisation de l’Échange, de Paul Claudel, dans la deuxième version de 1951. C’était il y a quelques jours, sous la pleine lune, dans un froid de loup. Nous n’étions qu’une poignée de public, blottis sous des couvertures et posés sur des gradins de pierre. Spectateurs spartiates. Il avait fallu grimper sur la colline des Mourgues, peuplée de grands pins et de vieux cyprès. Ça se mérite, Claudel. L’inconfort relatif fut vite oublié devant l’âpre beauté de la représentation, qu’on dira à mains nues dans la nature en plein ciel, au cours de laquelle on entend résonner le verbe haut jusqu’au vertige du vieux poète catholique à cou de taureau, qui n’avait certes pas froid aux yeux. L’Échange, on le sait, c’est l’histoire d’un « deal », au terme duquel un jeune homme sauvage – séduit par le miroir aux alouettes tendu par un aventurier milliardaire et sa compagne parée des prestiges de la scène – va perdre Marthe, son épouse pure et simple, ainsi que la vie. L’homme d’argent gagnera à son profit, du moins le suppose-t-on, la douce veuve qui a tout de même la tête sur les épaules… La cabane du couple au bord de la mer, c’est une petite caravane de camping où peut se réfugier Marthe (Pauline Huruguen) et sur le toit de laquelle, au tout début, Louis Laine (Yannick Landrein), censé tout frais sorti de l’eau, va se jucher sans vêtement en posture panthéiste, avant que n’apparaissent Lechy Albernon (Valérie Blanchon), virevoltante femme fatale, suivie de Thomas Pollock Nageoire (Pierre-Alain Chapuis), en homme qui sait ce qu’il veut. C’est prenant de bout en bout, d’une vie ardente, frénétique, néanmoins constamment maîtrisée. On ne perd rien des attendus cyniques et lyriques de l’œuvre, dont les prolongements physiques s’étirent volontiers, du crépuscule à la nuit noire, dans l’austère paysage provençal. C’est magnifique (le mot est pesé) par les vertus conjuguées du jeu, fougueux, juste, sans merci, même dans les figures d’excès, et de l’intelligence du texte ainsi mise en corps. On conseille amicalement d’emprunter le chemin forestier qui conduit à l’Échange. S’y révèlent deux jeunes comédiens qu’en bonne logique on sent auréolés d’espoir, tandis que se confirment leurs partenaires, déjà vus maintes fois avec bonheur. L’aventure, non prévue, n’en est que plus stimulante. Jean-Pierre LEONARDINI |